J’ai longtemps cherché une aspérité pour me cacher. De trous de souris en trous à rat, j’ai réussi à La fuir jusqu’à présent. Mais pour combien de temps encore ? Mes doigts glissent, je dérape sur une surface cruellement et parfaitement lisse, qui ne présente plus la moindre irrégularité salvatrice. Elle m’écrasait, Elle m’écrase, Elle m’écrasera. Le temps se compresse jusqu’au point de non-existence puis s’effondre sous son propre poids, s’écrasant avec fracas dans le cimetière des mes rêves. Je le rejoins bientôt, m’accrochant désespérément aux parcelles de ciel qui m’accompagnent dans ma chute inéluctable. Mais la chute importe un peu, car elle était écrite depuis le début. L’atterrissage ne l’était pas, il mérite mon attention dilettante de nouveau non-né…
C’est froid dedans, ça coule en moi, c’est moi, cela a toujours été moi. Mais cette fois-ci, les digues ont cédé et le Trône de Glace achève sa conquête inexorable, contemplant les ravages de la Légion Ardente. Il fait froid ici, ou il eût fait froid ici, il aura fait froid, je ne sais plus. J’emporte mon froid avec moi, il me réchauffe dans la solitude de mon cœur fiévreux. Alors que les techniciens de surface s’activent déjà à balayer les restes de mon existence, qui font, avouons-le, désordre sur une si belle défense, je dérive placidement dans les noirs océans de l’infini, affublé d’une ignorance béate, accroché à mon ultime morceau de temps fragile et acéré, seul legs d’une existence avare.
Je vois, non je sens, le point au loin, confusément, auréolé de cette clarté funeste que j’ai passé ma vie à redouter et à espérer. Le point, c’est moi, ou bien cela aurait été moi, tout cela n’a plus guère d’importance car bientôt nous serons tous réunis, eux et moi, là où tout a commencé, là où tout doit s’achever. Je ne voyais pas l’origine comme ça. Où diable est passé le feu d’artifice cosmique que l’on m’avait promis sur la brochure ? Je ne vois là que la paix d’un nouvel âge des ténèbres au doux parfum d’antan, quand l’existence n’était pas un problème, quand l’existence n’était pas. Transpercé jusqu'aux os par le néant absolu de toute aspiration humaine, j’implose soudain. L’heure est enfin venue, il n’est plus possible de fuir désormais.
Avant d’entendre « Valium ! » pour la dernière fois et de tirer ma révérence dans un dernier hoquet de terreur, je me suis demandé, pourquoi nous les reptiles, passions notre vie à nous interroger sur ce qui suit l’existence plutôt que sur ce qui la précède. Là où Elle m’a emmené, je n’ai pas trouvé de réponse à cette question, mais j’en ai eu tant d’autres… que j’aurais aimé ne jamais envisager. La vie est une chose hideuse ; et à l'arrière plan, derrière ce que nous en savons, apparaissent, à l’occasion des retours au Néant, les lueurs d'une vérité monstrueuse qui nous la rendent mille fois plus hideuse, nous ouvrant ainsi des perspectives terrifiantes sur la réalité et sur la place effroyable que nous y occupons. Le monde est une souffrance déployée. A son origine, il y a un nœud de souffrance. Toute existence est une expansion, et un écrasement. Toutes les choses souffrent, jusqu'à ce qu'elles soient. Le Néant vibre de douleur, jusqu'à parvenir à l'être, dans un abject paroxysme. Le monde n'est qu'un furtif arrangement de variables aléatoires, une figure de transition vers le chaos. Qui finira par l'emporter. La race humaine disparaîtra. Tout disparaîtra.