Salar de Uyuni, Bolivie. Désert de sel d’une pureté surréaliste, de cette pureté qui ne peut se retrouver que dans la splendide monstruosité de l’égoïsme humain, froid, inentamé et rayonnant. Un désert parsemé d’incongruités : des îles saupoudrées de cactus, des volcans éteints, des villages abandonnés, des maisons d’hôtes désertes, des 4x4 remplis de touristes hollandais condamnés à mort. Le Salar de Uyuni était une mer autrefois, non, un lac, une petite Mer Morte, mais cela, tout le monde l’a oublié. Le Salar de Uyuni n’est pas magnifique parce qu’il exemplifie la froideur de la Faucheuse, mais parce qu’il a ce petit goût salé qui nous rappelle cette amertume qui nous accompagne partout, à la vie et à la mort.
Le Salar est notre vie, notre vie est un Salar : nous venons au monde dans la fulgurance d’un rayon de Soleil, puis nous parcourons ce désert qu’est l’existence humaine en quête de quelque passe-temps plus ou moins distrayant, qui nous permettra de dire, au coucher du Soleil, « j’ai bien occupé ma vie ». Nous franchirons cette vallée de larmes qui sépare l'enfance de la mort ; mais il nous faudra rester purs. Je me recueille un instant, le temps d’admirer la splendeur pathétique que sont les tentatives prométhéennes pour faire de la vie une œuvre d'art - pour façonner un modèle de beauté dans cette porcherie qu'est l'existence humaine. Les actions humaines sont aussi libres et dénuées de sens que les libres mouvements des grains de sel balayés par les vents solitaires du Salar. Le bien, le mal, la morale, les sentiments ? Pures fictions. Seul l'égoïsme existe.
J’aimerais mourir en plein milieu du Salar de Uyuni, au pied du volcan Tunupa, à moitié immergé dans les petits lacs qui le reflètent avec une fidélité canine, j’aimerais mourir parmi les flamants roses majestueux et indifférents qui me toiseraient de haut et me nargueraient avec leurs organes pleins de cette vitalité impie. J’aimerais expirer mon dernier souffle alors que le Soleil se couche sur le Salar et l’abandonne de nouveau dans l’oubli. J’aimerais naître et mourir tous les jours avec ce Salar qui a perdu son passé et n’a plus d’avenir, ces espace hors du temps, parsemé de fourmis sautillantes et photographiantes. Je rêverais de rejoindre ce pays mauve et mouvant, dont on ne sait s’il naît ou s’il s’éteint, ce pays sans mémoire et sans remords où nous flottons nonchalamment, libéré de nos péchés. L’infini dans le mystère est le don des célestes qui ont autrefois foulé ce sol goitreux et sans vie. Pourtant, nous le poursuivons sans relâche et nous envolons vers cet horizon sans fin. Des vaguelettes se forment à la surface du lac. L’âme errante ne connaîtra jamais le repos.
Le 2 juillet 2007, j’aurais dû m’envoler avec le coucher du Soleil… Mais le Salar n’a pas voulu de moi.