Le poids, la charge de l'objet, lourde de sa présence sans parole, que la parole peine à recréer
La main avant tout, plus que l'oreille, plus que l'œil, la palpation est souveraine
L'objet reposé son absence est douloureuse (pourquoi douloureuse?)
A quoi désormais servent mes doigts, qui n'ont plus à faire connaissance avec les creux du verre, avec les surprises d'humidité
Dans l'absence, dans le silence reste le poids de ce qui fut vécu
Connaissance brève, quelques échanges, la pression attentive d'une main
Qui donne son attention ne la reprendra jamais
L'arbre croisé, auquel j'ai attaché mon regard, ne me dira pas son secret, même si j'y reviens, y pose mes yeux encore, le lien avec moi ne se fera que par des jeux de circonstances, sa présence dans cette rue, à cette heure-là, à ce moment de ma vie qui lui donnera forme de souvenir
Mais le souvenir n'est pas l'arbre, le manque dans ma main n'est pas la carafe, et l'envie de la reprendre me tient
J'ai aimé sa pesanteur, et sa gravité de verre, et le ventre clapotant de l'eau
Les objets dans leur innocence nous donnent une troublante volupté
Posant la main sur la table de bois, le nez sur la tranche d'un livre, la plante du pied sur l'herbe fraîche ils donnent sans compter, sans se refuser à notre caresse et pourtant eux aussi restent absents
De notre conscience qui ne sait que tisser du souvenir, de la bricole narrative ou vaguement picturale
Sinon par cinesthésie, la sensation revenant violente comme une claque, pire que l'absence, que la disparition de l'instant
Vite, fuyons dans un nouvel instant, une sensation inédite ou au moins qui nous prête sa densité
Couvrons nos mains de gants d'oubli, fermons nos bouches à l'adjectif délétère, qui voudrait dire la chose reposée et finalement n'y parvient
(Anaïs)