MESSAGES
(guimm pour kôra)
A CHEIK YABA DIOP, CHEF DE PROVINCE
Il m'a dépêché un cheval du Fleuve sous l'arbre des palabres mauve.
Dialogue à une lieue d'honneur !
Il m'a dit: « Beleup de Kaymôr ! sa récade crée sa parole avec rigueur.
« Sept athlètes Kaymôr a dépêchés, qui ont mon buste et ma couleur, car nous nageons par la mer pacifique.
« Il les a dépêchés sur les pistes ferventes, dans les nuages promesses de verdure
« En saison sèche, tels des acacias.
« Cinquante chevaux seront ton escorte, tapis de haute laine et de mille pas
« Et des jeunes gens à livrée d'espoir. Il te précède vêtu de sa pourpre
« Qui te vêt et son haut bonnet t'éclaire, son épée nue t'ouvre la voie des enthousiasmes.
« La paume des tamas les doigts des balafongs diront la liesse de ses terres.
« Oui tu es Guelwâr de l'esprit, il est Beleup de Kaymor
« Politesse du Prince ! Et des présents sont pour t'attendre
« Politesse du Prince ! Et sa récade est d'or. »
Dyôb ! lui ai-je dit, Beleup de Kaymor ! Je te respire parfum de gommier, et proclame ton nom
Surgi du Royaume d'enfance et des fonds sous-marins des terres ancestrales.
Héraut ! proclame mon char blanc et ses chevaux obscurs.
Des navires-de-terre m'accompagnent aux voiles étendards, les présents d'au-delà les mers.
Grâces à toi pour les fleurs des discours très odorants, pour les hommages des tamas des balafongs des mains
Grâces à toi pour le vin de palme, la coupe d'amitié de la lèvre à la lèvre
Grâces pour la jeune fille nubile au ventre de douceur n'deïssane ! à la croupe de colline à la poitrine de fruits de rônier.
Et par-dessus toute louange, sa bouche sait tisser des paroles plaisantes.
Ma Dame est dame de haut rang et fière. Donc compliments à la fille du Grand-Dyarâf !
Mais je te dis les présents les plus lourds, lois noires sur fond blanc dans le coffret de bois des Isles
Et les discours exacts rythmés dans les hautes assemblées circulaires ; et ce fut parmi les guelwârs de la parole
Je leur ai imprimé le rythme, je les ai nourris de la moelle du Maître-de-sciences -et -de-langue .
Telles sont ma réponse et ma récade bicéphale : gueule du Lion et sourire du Sage.
A NEW YORK
(pour un orchestre de jazz : solo de trompette)
New York ! D'abord j'ai été confondu par ta beauté, ces grandes filles d'or aux jambes longues.
Si timide d'abord devant tes yeux de métal bleu, ton sourire de givre
Si timide. Et l'angoisse au fond des rues à gratte-ciel
Levant des yeux de chouette parmi l'éclipse du soleil.
Sulfureuse ta lumière et les fûts livides, dont les têtes foudroient le ciel
Les gratte-ciel qui défient les cyclones sur leurs muscles d'acier et leur peau patinée de pierres.
Mais quinze jours sur les trottoirs chauves de Manhattan
- C'est au bout de la troisième semaine que vous saisit la fièvre en un bond de jaguar
Quinze jours sans un puits ni pâturage, tous les oiseaux de l'air
Tombant soudain et morts sous les hautes cendres des terrasses.
Pas un rire d'enfant en fleur, sa main dans ma main fraîche
Pas un sein maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur.
Pas un mot tendre en l'absence de lèvres, rien que des coeurs artificiels payés en monnaie forte
Et pas un livre où lire la sagesse. La palette du peintre fleurit des Cristaux d,2 corail.
Nuits d'insomnie ô nuits de Manhattan i si agitées de feux follets, tandis que les klaxons hurlent des heures vides
Et que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des fleuves en crue des cadavres d'enfants.
II
Voici le temps des signes et des comptes
New York ! or voici le temps de la manne et de l'hysope.
Il n'est que d'écouter les trombones de Dieu, ton coeur battre au rythme du sang ton sang.
J'ai vu dans Harlem bourdonnant de bruits de couleurs solennelles et d'odeurs flamboyantes
- C'est l'heure du thé chez le livreur-en-produits-pharmaceutiques
J'ai vu se préparer la fête de la inuit à la fuite du jour. Je proclame la Nuit plus véridique que le jour.
C'est l'heure pure où dans les rues, Dieu fait germer la vie d'avant mémoire
Tous les éléments amphibies rayonnants comme des soleils.
Harlem Harlem ! voici ce que j'ai vu Harlem Harlem !
Une brise verte de blés sourdre des pavés labourés par les Pieds nus de danseurs Dans
Croupes ondes de soie et seins de fers de lance, ballets de nénuphars et de masques fabuleux
Aux pieds des chevaux de police, les mangues de l'amour rouler des maisons basses.
Et j'ai vu le long des trottoirs, des ruisseaux de rhum blanc des ruisseaux de lait noir dans le brouillard bleu des cigares.
J'ai vu le ciel neiger au soir des fleurs de coton et des ailes de séraphins et des panaches de sorciers.
Écoute New York ! ô écoute ta voix mâle de cuivre ta voix vibrante de hautbois, l'angoisse bouchée de tes larmes tomber en gros caillots de sang
Écoute au loin battre ton coeur nocturne, rythme et sang du tam-tam, tam-tam sang et tam-tam.
III
New York ! je dis New York, laisse affluer le sang noir dans ton sang
Qu'il dérouille tes articulations d'acier, comme une huile de vie
Qu'il donne à tes ponts la courbe des croupes et la souplesse des lianes.
Voici revenir les temps très anciens, l'unité retrouvée la réconciliation du Lion du Taureau et de l'Arbre.
L'idée liée à l'acte l'oreille au coeur le signe au sens.
Voilà tes fleuves bruissants de caïmans musqués et de lamantins aux yeux de mirages. Et nul besoin d'inventer les Sirènes.
Mais il suffit d'ouvrir les yeux à l'arc-en-ciel d'Avril
Et les oreilles, surtout les oreilles à Dieu qui d'un rire de saxophone créa le ciel et la terre en six jours.
Et le septième jour, il dormit du grand sommeil nègre.